Pour quelle fin avons-nous reçu la raison de la nature ? Pour user de nos représentations comme il se doit. Et elle-même qu’est-elle ? Un ensemble fait de certaines représentations déterminées ; elle est donc par nature capable de se connaître. Et la prudence ? Elle vient en nous pour connaître quels objets ? Les biens, les maux, et ce qui est ni bien ni mal. Et elle-même, qu’est-elle ? Un bien. Et qu’est l’imprudence ? Un mal. Tu vois donc que nécessairement, elle se connaît elle et son contraire. Aussi, la plus importante et la première fonction du philosophe est d’examiner les représentations, de les discerner et de n’en admettre aucune sans examen. Voici la monnaie, qui paraît avoir quelque importance pour nous ; voyez comment on a inventé un art et de combien de moyens le vérificateur se sert pour l’examiner : de la vue, du toucher, de l’odeur et finalement de l’ouïe ; il frappe sur la pièce, et il écoute le son avec attention ; il ne se contente pas d’un seul essai et, grâce à une attention répétée, il acquiert une oreille musicale. Ainsi, lorsque nous jugeons qu’il est important de ne pas se tromper, nous apportons une grande attention à discerner ce qui peut nous tromper ; mais, s’il s’agit de notre malheureuse raison, nous bâillons, nous sommeillons, et nous acceptons n’importe quelle représentation ; c’est que nous n’en ressentons pas le dommage.

Epictète (50-130) ; Entretiens