Un impératif1 adapté au nouveau type de l'agir humain et qui s'adresse au nouveau type de sujets2 de l'agir s'énoncerait à peu près ainsi : « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec   la   Permanence   d'une   vie   authentiquement humaine sur terre » ; ou pour l'exprimer négative­ment : « Agis de façon que les effets de ton action ne soient pas destructeurs pour la possibilité future d'une telle vie » ; ou simplement : « Ne compromets pas les conditions pour la survie indéfinie de l'humanité sur terre » ; ou encore, formulé de nouveau positivement : «Inclus dans ton choix actuel l'intégrité future de l'homme comme objet secondaire de ton vouloir». [.]

le nouvel impératif affirme précisément que nous avons bien le droit de risquer notre propre vie, mais non celle de l'humanité; et qu'Achille3 avait certes le droit de choisir pour lui-même une vie brève, faite d'exploits glorieux, plutôt qu'une longue vie de sécurité sans gloire (sous la présupposition tacite qu'il y aurait une postérité qui saura raconter ses exploits), mais que nous n'avons pas le droit de choisir le non-être des générations futures à cause de l'être de la génération actuelle et que nous n'avons même pas le droit de le risquer.[.]

il est manifeste que le nouvel impératif s'adresse beaucoup plus à la politique publique qu'à la conduite privée, cette dernière n'étant pas la dimension causale à laquelle il peut s'appliquer.

 

Hans Jonas (1903-1993), le principe de responsabilité.

1Terme d'origine Kantienne (Kant), obligation morale, devoir

2Les humains

3Il préfère une vie courte de héros guerrier à une vie longue mais sans gloire